Saturday, October 1, 2005

D’état et de milices

Published in l’Orient le Jour (French language daily newspaper in Lebanon)

Rien qu’à observer l’évolution du contexte politique international et régional, les libanais, connus pour être « politisés jusqu’au bout », comprendront les messages clairs du Hezbollah envoyés à l’Est et à l’Ouest à l’occasion de la « Journée Al-Quds » célébrée il y a quelques jours. Dans ce contexte, il serait utile de commenter la pertinence des messages Hezbollahi et de leur impact sur l’avenir politique de ce parti après le règlement du problème des armes. Car dans un pays pluraliste, l’avenir politique de tout parti est lié intrinsèquement à ses positions de principe qui touchent non seulement ceux qu’il représente, mais aussi les autres libanais. Le parti de Dieu justifie son insistance à garder ses armes par l’existence du danger imminent Israélien. Supposons que ce danger soit perçu par tous les libanais de la même manière (ce qui n’est pas tout à fait vrai), est ce que le fait de permettre à des groupements politiques d’avoir des armes (inclus quelques 12000 missiles) est la solution face à ce danger ? Dans ce cas, pourquoi ne pas permettre à d’autres groupes qui s’inquiètent du danger palestinien ou syrien à faire pareil ? Objectivement parlant, le lion Syrien, grièvement touché par l’Oncle Sam, ne cache pas sa frustration vis-à-vis de certains Libanais, considérés comme les chevaux de Troie par lesquels on lui a fait enlever l’une de ses cartes de pressions les plus importantes. Au vu de l’historique syrien, cette animosité ne pourrait être considérée que comme un vrai danger. De quel œil le Hezbollah verra –t-il le courant du Futur devenir une milice, détenir des missiles ou organiser des parades militaires à Tariq el Jdideh par exemple ? D’autre part, les groupes armés palestiniens ne sont ils pas perçus comme un danger par au moins une partie des libanais ? Ces derniers, en suivant la même logique, peuvent-ils s’organiser en milices tout en criant haut et fort que « les armes ne seront pas utilisés « à l’intérieur » comme le font les milices palestiniennes pro syriennes ? Suffit-il de s’engager en public ? Qui assure que ces engagements seront respectés lorsque l’heure des échéances sonnera ? Qui assure la pérennité des commandements de ces milices palestiniennes ? Ou même la pérennité de leurs choix politiques stratégiques ? A-t-on eu le temps d’oublier les multiples revirements palestiniens durant les 30 dernières années ? Quant aux armes « légères » présentes dans les camps, Cheikh Nasrallah affirme qu’elles servent à protéger « les palestiniens, leur honneurs, leurs femmes… ». Ainsi soit il, Mais de qui ? Le seul parti qui a des armes au Liban est le Hezbollah et ce n’est sûrement pas ce parti qui va les attaquer. Si ce dernier détient des informations sur d’autres groupes armés qui comptent s’attaquer à des civils palestiniens « comme à Sabra et Chatila », qu’il les dénonce. Aucune force politique au Liban n’accepterait des attaques contre les civils palestiniens. En parlant de souveraineté, Cheikh Nasrallah s’est montre irrité des ingérences onusiennes. Etrange que cette irritation soit venue du leader d’un parti qui s’est longtemps accommodé des ingérences syriennes (souvent grossières) en plus du fait que le lancement du parti ne soit pas très étrange aux Gardiens de la Révolution en Iran. Les déclarations menaçantes de Anouar Raja et Ahmed Jibril n’ont-ils pas irrité le Hezbollah ? N’est ce pas une entorse à la souveraineté libanaise ? M. Raja qui déclarait que « nous ne sommes pas venus chez l’Armée mais c’est l’Armée qui est venue chez nous » ? Ou bien que « nous ne permettrons pas à l’Armée d’envahir nos positions » ? Détient-il des actes de propriété pour ces positions ? Font ils partie des territoires palestiniens désormais ? Qui est chez Qui ? De quel droit M. Raja, et en sa qualité de quoi, voudrait-il « négocier » avec l’Armée la libération de 6 soldats « qui se sont infiltrés dans notre position » ? L’Armée Libanaise a-t-elle besoin d’un permis de Raja ou de Jibril pour fouiller des positions miliciennes ? Le statut de « réfugiés », applicable aux palestiniens résidant au Liban, impose aux autorités libanaises et à la société civile libanaise une attitude complètement différente en ce qui concerne les droits économiques et sociaux, tels que stipulés par les engagements internationaux du Liban. Mais elle impose également aux palestiniens, notamment les leaders politiques, une certaine conduite respectueuse du pays hôte. Si les Libanais ne se mettent pas d’accord qu’il faut bâtir l’Etat Libanais sur la base des principes universels des droits de l’Homme, c’est qu’ils auraient perdus 30 ans, des centaines de milliers de martyrs et des dizaines de milliers de disparus, pour rien. Un Etat de droit, condition sine qua non à la reforme politique et économique à laquelle aspire tant le Hezbollah, ne saurait coexister avec une multitude de milices, non libanaises de surcroît. La protection des civils palestiniens relève exclusivement des autorités libanaises et ne peut pas être sous traitée à des groupuscules armés. Le respect des résolutions internationales et l’application par le Liban des conventions internationales doivent être la base de la pratique politique du pays. Et si le droit international nous impose de suivre une certaine procédure onusienne pour prouver la libanité des fermes de Chebaa, c’est que le Liban se doit de suivre cette procédure comme il faut. Autrement, il est normal qu’on s’attire les foudres de la communauté internationale. Et ce n’est pas par pragmatisme politique qu’on doit faire ça, mais pour être respectueux de la légalité internationale, pour être conséquents avec nous-mêmes, dans une perspective d’éthique politique. Un nouveau Liban ne pourrait pas être bâti qu’en l’absence de toutes sortes de milices ou de groupes armés. La défense du Liban face à tout danger fait partie des responsabilités de l’Etat libanais. Et rien de prouve qu’un Etat de droit, complètement souscrit à la légalité internationale, ne peut s’acquitter de cette tache.