Wednesday, June 30, 2010

Ketermeya, le cas Courban et bien d'autres

Published in L'Orient le Jour (French language daily newspaper in Lebanon)




Du fait d’un relâchement régional, le Libanais a le privilège de témoigner ces derniers mois d’une série d’arrangements politiques (pour la plupart absurdes) qui ont contribué à établir une sorte de stabilité relative. Il y a une série de questions cependant sur les avantages et les inconvénients de ces arrangements ainsi que sur la durabilité de cette stabilité, à l’ombre des influences grandissantes (comprendre interventions) régionales dans la vie politique libanaise.

Entretemps, force est de constater que tous ces arrangements ont été conclus aux dépens des principes de responsabilité et de justice. Ainsi, il y a des dizaines de personnes qui ont péri, d’autres blessées ou handicapées à cause des incidents sécuritaires qui ont eu lieu entre 2005 et 2008. Si l’accord politique en tant que tel est louable (la paix est toujours meilleure que le conflit), toujours est-il que les ententes politiques qui se font au détriment des droits de l’homme ne sont que des solutions temporaires, un calme précédant une tempête qui provoquera plus de dégâts et de victimes.

Il y a au Liban un certain nombre de politiciens, de militaires, de miliciens, des juges, des journalistes…etc. qui assument, chacun à sa manière, une part de responsabilité dans les événements qui ont eu lieu depuis 2005 et le fait de l’occulter ne fera qu’alimenter les frustrations à plus d’un niveau.

A part cette entorse aux principes élémentaires de démocratie et de justice, une toute autre tendance est observée depuis peu, celle de « traiter » dans l’obscurité, loin des feux de la rampe, certaines violations de droits de l’Homme.

Comparée à ce qui se passait durant les années de répression (1990-2005), cette approche sonne le glas de l’opportunité d’avoir des ministres issus des rangs des groupes qui furent réprimés entre 1990 et 2005, ou des ministres issus des rangs de la société civile. Si ce type de ministres n’est pas en mesure non pas d’améliorer mais au moins de freiner les quelques pratiques dégradantes et floues, c’est que l’avenir du Liban semble assez sombre.

Le cas récemment révélé du harcèlement dont fut l’objet le Professeur Antoine Courban mérite d’être considéré avec une attention particulière. Loin de critiquer ou de défendre le sujet à polémique (traitement anticancéreux non conventionnel), il est essentiel qu’un membre du corps professoral universitaire puisse s’exprimer en toute liberté devant ses étudiants sur des sujets sans se retrouver dans le collimateur de tentatives d’intimidation.

A un tout autre niveau, les pratiques notoires de torture durant la phase d’interrogatoire restent toujours sans suivi consistant, ou dans le meilleur des cas, sans information publique transparente. Depuis 2005, aucune information n’a été communiquée, ni aux associations des droits de l’Homme ni à l’opinion publique, ni à la commission parlementaire des droits de l’homme,  sur les mesures prises pour contrer ces pratiques ou sur les sanctions prises à l’encontre des officiers impliqués dans les cas de torture. Il n’y a aucun indicateur qui montre que les pratiques de torture ont diminué. Si le ministre de la défense vient d’un background politique, tel n’est pas le cas des ministres Baroud et Najjar qui sont appelés à informer l’opinion publique des mesures et des sanctions prises.

Passons au cas Saghyeh : Un avocat et défenseur des droits de l’homme se voit confisquer son passeport à l’aéroport de Beyrouth. D’après les articles de presse, le ministre Baroud serait intervenu personnellement pour lui restituer son passeport. Nécessaire mais pas suffisant. Il est tout aussi important que le ministère de l’intérieur informe, en toute transparence, sur les circonstances de cet incident ainsi que les sanctions prises à l’encontre des personnes impliquées.

Les mêmes principes s’appliquent au cas Ketermeya ou une foule hystérique a lynché un suspect à cause « d’une erreur d’appréciation » d’un groupe d’officiers. A part les « folkloriques » quatre ou six jours que certains de ces officiers ont passé en résidence surveillée, l’opinion publique n’est pas informée des circonstances et des mesures prises dans le cadre de cet incident barbare.

Il est juste de reconnaitre qu’il y a une multitude de facteurs qui ralentissent le travail des ministres bien intentionnés mais il est important aussi que les règles de transparence priment même dans les cas ou ces mêmes ministres ne sont pas en mesure d’agir d’une manière professionnelle.

Tout comme les progrès au niveau des droits de l’Homme sont en général le fruit d’un processus cumulatif, ce même principe s’applique aux régressions et il faut bien s’assurer que ce qui se passe actuellement ne  s’inscrit pas dans le cadre d’une détérioration au niveau des droits de l’Homme.