Saturday, April 9, 2011

Campagnes anticonfessionnelles : une bataille perdue d’avance

Published in L'Orient le Jour (French language daily newspaper in Lebanon)


Nul ne conteste le fait que le système politique libanais souffre de problèmes structurels. Mais



la question qui se pose (ou plutôt s'impose) est de savoir si la stratégie employée par les


organisateurs des dernières campagnes « anticonfessionnelles » est efficace et pertinente. Le


fait d'exposer dans ces colonnes ce que je considère être des éléments d'échec (de ces


campagnes) n'a pas pour but de dénigrer les personnes ou les organismes qui les mènent,


mais plutôt de contribuer constructivement au débat en suggérant une vision bien différente.


La règle générale dit que toute « révolution » commence par un groupe restreint de


personnes. Pour pouvoir produire un changement réel, ces révolutionnaires devraient être


rejoints, dans un second temps, par « une masse » ; ce qui ébranlerait le système en place


(à cause du débordement) et mènerait à un changement de la situation antérieure. Donc, à


défaut de l'engagement d'une masse, toute tentative de changement reste sans suite. Ce qui


fait que dans le cas des campagnes anticonfessionnelles au Liban, il faut commencer au plus


tôt par communiquer avec la masse pour la rallier au mouvement. Pour réussir cet exercice, il


faudrait développer un « discours » qui soit « attractif » et « accepté » par une majorité de


citoyens. Cela n'a pas lieu, du moins jusqu'à ce jour.


La première confusion se situe au niveau du concept lui-même. Quelle est la définition du


« confessionnalisme » ? On veut que les gens prennent la rue pour manifester contre un


concept qui est vague et mal compris ou, au mieux, perçu d'une manière différente par une


société aussi hétérogène que dispersée. Pour bien cibler le public, il faut commencer par une


définition claire et précise du phénomène, qui refléterait une perception commune sans


attiser les peurs. L'on peut donc remplacer le mot absurde de « confessionnalisme » par un


terme plus clair comme « le système discriminatoire » pour bien montrer que le but est


d'arriver simplement à un système qui ne génère pas de discriminations (à caractère


confessionnel ou autre, puisque la discrimination n'est pas que confessionnelle). Il faut donc


mobiliser contre les discriminations générées par le système en place et non pas promouvoir


un « nouveau » régime aux contours mal définis nommé par les organisateurs « non


confessionnel » ; pour la simple raison que toute ambiguïté au niveau du public mènera à des


interprétations erronées qui, à leur tour, nourriront des peurs primitives et empêcheront des


segments de la masse de rallier la cause. Les exemples de régimes politiques dans le monde


qui assurent un respect acceptable des droits de l'homme sont nombreux (État nation comme


la France, système fédéral comme l'Allemagne ou l'Espagne, démocratie consociative comme


la Suisse, etc.). Ce n'est donc pas la nature du système qui empêche les discriminations mais


plutôt les valeurs fondatrices ainsi que les normes de fonctionnement qui empêchent les


dérives. Quel est le but alors de promouvoir un modèle spécifique sinon de s'aliéner un grand


nombre de Libanais ?


La seconde faille dans ces campagnes est dans l'absence d'objectifs spécifiques et bien


réfléchis. L'objectif principal de ces campagnes est « de faire chuter le régime


confessionnel ». De quel régime parle-t-on ? Techniquement, au Liban, il n'y a pas un


dictateur qui s'impose au sommet. Il y a quand même des élections et ce sont les mêmes


masses (qui doivent être ciblées par les organisateurs pour réussir la révolution) qui élisent


un establishment politique. Si les résultats de ces élections contribuent à pérenniser un


système discriminatoire, c'est que les valeurs de cette « masse » du peuple sont semblables


au régime qu'elle soutient. C'est vrai qu'il y a un segment de la société qui conteste ces


valeurs, mais le facteur crucial est de convaincre « la masse » et non pas de l'ostraciser. Ce


dont se plaignent les organisateurs n'est pas exclusif à la vie politique. Il existe à tous les


niveaux de la société. Encore une fois, ce sont des dérives générées par une certaine échelle


de valeurs qui nécessite une réforme. Ce n'est nullement à coups de manifestations et de


mises en scène médiatiques (comme ce décor pathétique d'un micro monté sur un tonneau


lors d'une conférence de presse) que l'on réussira à convaincre la masse. La pierre angulaire


est donc l'élaboration d'une série d'interventions communautaires auxquelles doivent prendre


part une diversité d'acteurs et non seulement la société civile. Qui a dit que le patronat (pris


juste comme exemple) n'a pas son mot à dire et/ou un rôle à jouer ? Comment s'est-on


adressé au patronat, aux autres composantes et aux autres faiseurs d'opinions de la société ?


Depuis bientôt un quart de siècle, ce sont les mêmes figures et/ou les mêmes associations


qui montent au créneau avec une même approche archaïque et obsolète. N'est il pas temps


de revoir cette stratégie, identifier les leçons des échecs antérieurs et innover ? Depuis la fin


des années 1980, il fallait commencer par admettre que le problème n'est pas la classe


politique mais plutôt les valeurs de la société elle-même. Si tout cet effort fut déployé pour


cibler les « esprits » plutôt que les « textes » (pour reprendre ce malin jeu de mots en


arabe), l'on aurait probablement avancé au moins d'un degré.


En même temps, il aurait été pertinent par exemple d'étudier les possibilités juridiques et


constitutionnelles. Dans le préambule de la Constitution, la clause « C » stipule que « le Liban


est une république démocratique, parlementaire, fondée sur le respect des libertés publiques


et en premier lieu la liberté d'opinion et de conscience, sur la justice sociale et l'égalité dans


les droits et obligations entre tous les citoyens sans distinction ni préférence », alors que la


clause « H » affirme que « la suppression du confessionnalisme politique constitue un but


national essentiel pour la réalisation duquel il est nécessaire d'œuvrer suivant un plan par


étapes ». L'article 7 de cette même Constitution confirme le principe d'égalité : « Tous les


Libanais sont égaux devant la loi. Ils jouissent également des droits civils et politiques, et


sont également assujettis aux charges et devoirs publics, sans distinction aucune. » Même


l'honni (voire détesté), l'article 9 peut être en faveur d'un système égalitaire. Cet article


affirme : « La liberté de conscience est absolue. En rendant hommage au Très-Haut, l'État


respecte toutes les confessions et en garantit et protège le libre exercice à condition qu'il ne


soit pas porté atteinte à l'ordre public. Il garantit également aux populations, à quelque rite


qu'elles appartiennent, le respect de leur statut personnel et de leurs intérêts religieux. » Cet


article confirme le respect absolu de la liberté de conscience, dont celle (éventuellement) de


ne pas être un croyant ou de ne pas s'affilier à un rite.


Toujours au niveau des objectifs, je ne vois toujours pas la pertinence des requêtes soumises


par les organisateurs aux autorités. Il y a là de tout, de l'abolition du « régime


confessionnel » à l'environnement, à la gestion de l'eau, aux problèmes des réfugiés, aux


abus contre les travailleurs étrangers, etc. Un réquisitoire digne d'une déclaration


gouvernementale plutôt que d'une action spécifique et ciblée de la société civile. Les


organisateurs essaient-ils de nous convaincre que le système électoral « confessionnel » est


responsable des abus dont sont victimes les travailleurs étrangers ? Ou bien est-ce la


répartition confessionnelle des trois présidences qui fait que l'eau est dilapidée et mal gérée


au Liban ? Le monde arabe n'a régressé qu'à cause de cette stérilité intellectuelle qui a fait


que tous les problèmes des sociétés arabes furent liés uniquement au conflit avec Israël.


Nous nous sommes retrouvés, cinquante ans plus tard, avec des sociétés sous-développées à


plus d'un niveau. Le fait de lier tous les problèmes au Liban au seul facteur du


« confessionnalisme » relève de la même approche et mènera aux mêmes résultats. Il faut


avoir le courage si l'on veut déterminer objectivement les tenants et les aboutissants réels de


tous les problèmes et les traiter rationnellement. Maintenir cette unicité dans la pensée ainsi


qu'une certaine perspective « révolutionnaire classique » ne rendra nullement service aux


multiples volontés de changement qui existent actuellement au Liban.


Il faut sûrement beaucoup moins d'émotions et un brin de raison pour réussir une entreprise


extrêmement compliquée; celle de concilier une bonne gestion de la diversité libanaise avec


les impératifs de l'égalité et la non-discrimination.