Friday, May 12, 2000

Lettre Ouverte à Monsieur Adnane ADDOUM

Published in L'Orient le Jour (French language daily newspaper in Lebanon)


Combien grande ma surprise était en lisant vos propos adressés à la délégation d’Amnesty International (rapportés par la presse du 6-5-2000);

Révolté par l’analyse subtile de nos profonds problèmes dans le respect des droits de l’Homme, une analyse que vous avez brillamment modelée en vue de servir d’hypothétiques (voire chimériques) intérêts suprêmes, sauvagement phagocytés par nos proches (et parfois lointains) voisins;

Profondément convaincu de mon inhérent droit à la libre expression (bien que vous n’y soyez pas d’accord);

Conscient de mon rôle de citoyen libanais, de défenseur et de formateur (il n’y a pas d’âge pour apprendre Monsieur le Juge) en matière de droits de l’Homme;

Je vous prie de noter avec la plus grande attention que la liberté d’expression n’est et  ne sera jamais sélective. Je m’explique: Vous prêchez que les avocats, en bons connaisseurs de la Loi (sic!), ne doivent pas parler en public des problèmes internes du corps judiciaire. Même plus, vous argumentez en disant qu’il existe des institutions judiciaires qui s’occuperont de punir les “mauvais” juges. J’ai le plaisir (et l’honneur votre honneur) de vous rappeler qu’un avocat, est avant tout, un simple citoyen qui jouit d’une totale liberté d’expression. Pour vous en assurer, vous n’avez qu’à vous référer à la Constitution libanaise, et à la Déclaration Universelle des droits de l’Homme ou l’on clame haut et fort que “tout individu à droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir, et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit” (article 19).

Le fait d’être avocat n’impose aucune limite à la liberté d’expression. La seule limite demeure la dignité des personnes accusées de « corruption » (dans ce cas). Et cette limite doit être  garantie par une enquête impartiale sur les accusations, et non par des poursuites dissuasives contre un avocat qui croit obéir à son devoir professionnel et moral en s’attaquant à des irrégularités alarmantes.

Avec tous mes respects, vous n’avez qu’à le juger sur le contenu de ses propos, et non pour le simple fait qu’il ait parlé librement. S’il se trouve incapable de prouver ses accusations, condamnez le pour diffamation.

De grâce ! ne touchez pas à sa liberté d’expression. Vous n’en avez simplement  pas le droit, Monsieur le Juge!

Et si nous réagissons, ne nous accusez pas alors de “ternir la réputation du Liban”.



Monday, May 1, 2000

Le Droit humanitaire et le devoir d’ingérence

Published in l'Orient le Jour (French language daily newspaper in Lebanon)


A) L’évolution des droits de l’homme

Les droits de l’homme se concentrent sur la valeur de la personne humaine et de sa jouissance de certaines libertés et de certaines formes de protection. Nombreux sont ceux qui croiraient que ce sont les théories énoncées par des penseurs influents tels que John Locke ou Jean-Jacques Rousseau qui aient entraîné les principaux progrès en matière de droits de l’homme tels que reflétés dans les différentes constitutions du 18ème et 19ème siècles. Ces philosophes appartenant à l’école du droit naturel, estimaient que l’état de nature est un état de paix et de bonne volonté. Ils réfléchissaient sur la relation entre le gouvernement et l’individu dans le cadre d’une société juste. D’autre part, les théoriciens positivistes des droits de l’homme (Bentham, Austin) basaient leur concept de la protection des droits de l’homme sur la Raison. Une multitude de facteurs philosophiques, religieux, sociaux, économiques, politiques et culturels a abouti au premier instrument international qui définit ce que sont les droits de l’homme, à savoir la Déclaration Universelle des droits de l’homme de 1948.Cet instrument fut complété en 1966 par les deux pactes internationaux relatifs aux “droits civils et politiques” et aux “droits économiques et sociaux”.

B) Le droit International humanitaire

Le droit humanitaire est de plus en plus perçu comme faisant partie des droits de l’homme. Cette tendance s’est clairement dessinée lors de la conférence des Nations Unies à Téhéran en 1968. On vit alors se naître un appel aux Nations Unies à faire de plus en plus usage du droit humanitaire lorsqu’elles examinent la situation des droits de l’homme dans certains pays. S’ensuit alors une prise de conscience des ONG qui ont entamé l’usage du droit humanitaire plus régulièrement pour appuyer leur action. Le droit humanitaire s’est développé à une époque ou la coercition n’était pas illicite en tant qu’instrument politique. Citons comme exemple la doctrine de la “guerre juste” reconnue par l’église comme recours légal à la force.. Mais à travers les différents codes et conventions du 19ème siècle, l’on perçoit assez souvent des limites imposées au recours à la force qui n’est admise que pour vaincre l’ennemi et ne justifie aucune violence envers les êtres humains, mêmes ennemis. (Code de Lieber 1863, Convention de La Haye 1907). Deux règles essentielles seront retenues comme fondements du droit humanitaire:

1) La protection des civils non - armés
2) Le traitement décent et humain des prisonniers de guerre

C) Mise en oeuvre du droit humanitaire

Le fossé entre droit et réalité semble plus important que dans sa perception générale, même dans le domaine du droit international, qui prévoit des méthodes de mise en oeuvre spéciales et qui ne sont pas suffisamment appliquées. Les mécanismes de mise en oeuvre existants visent autant à prévoir les violations qu’à les faire cesser et les corriger. Il est ainsi indéniable que la prévention des violations passe par l’adoption de mesures efficaces en temps de paix. Dans ce cadre, l’instruction et la formation adéquate à tous les niveaux (militaire, politique, civil et humanitaire) paraissent essentielles, voire indispensables. Bien sur que le respect du droit humanitaire n’est pas une affaire liant exclusivement les parties engagées dans un conflit. Les Etats parties aux Conventions de Genève sont tenues, aux termes de l’article I de “respecter et FAIRE respecter” le droit. Donc, non seulement ils doivent appliquer le droit, mais aussi contribuer à son application par les autres Etats, individuellement ou à travers un effort collectif. Ainsi, la responsabilité internationale en cas de violation n’incombe pas seulement aux Etats impliqués ou leurs agents, mais à toute la Communauté Internationale, voire jusqu’à l’imposition de sanctions pour obliger le gouvernement soit à juger les coupables, soit les extrader pour êtres jugées. L’initiative de créer un tribunal Pénal International permanent constitue un effort dans cette direction.

D) Le devoir d’ingérence

En 1979, Jean-François REVEL, philosophe et écrivain français “inventa” la formule du “devoir d’ingérence”. Il posa la question de savoir s’il faut considérer comme intangible la non-ingérence dans les affaires d’un état souverain. Et il conclut que la non-ingérence n’est applicable qu’aux démocraties, et que face aux autres régimes, elle est synonyme de non-assistance à une personne en danger. En 1988, à la tribune des Nations Unies, le Président François Mitterrand avait mis en avant “l’ardente obligation” pour la communauté internationale d’assister les peuples en péril même au risque de violer le sacro-saint article II de la Charte des Nations - Unies qui établit la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat souverain. L’envoi de quelques vivres et médicaments n’est plus suffisant en cas de conflits, la non - ingérence ne doit en aucun cas confirmer le règne du plus fort. Certains peuples sont victimes de leurs gouverneurs, dictateurs et sanguinaires ; le principe de non – ingérence dans ce cas est un refus de porter secours à une personne en danger de « mort ».

E) Conclusion

L’ingérence humanitaire est entrain de devenir un droit élémentaire, voire inaliénable. Il faut abandonner l’idée que chaque pays a sa propre conception des droits de l’Homme. Ce raisonnement n’est plus valable face au jumelage organique entre libéralisme économique et démocratie. L’un ne va pas sans l’autre. La violence contre les êtres humains n’est plus admise ni justifiée. Une autorité n’est légitime que dans la mesure ou elle a pour seule source un consensus démocratique.