Thursday, March 1, 2007

Dérives et responsabilités

Published in l’Orient le Jour (French language daily newspaper in Lebanon)

S'il y a un consensus quelconque entre les différentes factions politiques, c'est autour de l'idée que la crise politique que traverse actuellement le Liban est cruciale voire existentielle. Cette évaluation gravissime de la situation n'est cependant pas caricaturée. Néanmoins et vue d'une autre perspective, la crise constitue à la fois un intérêt et une "situation à risques" pour les ONG des droits de l'Homme. L'appel lancé par plusieurs partis et courants politiques de l'opposition à leurs sympathisants afin de camper au Centre Ville de Beyrouth et d’exercer une pression sur le gouvernement continue à susciter des réactions mitigées, allant de la justification d'une telle démarche (liberté d'expression) jusqu'à sa condamnation à cause des dégâts économiques et du risque d'escalade (et donc de victimes civiles) que ça pourrait générer. Les organisateurs du sit-in ont assuré publiquement et à plusieurs reprises que leur mouvement est pacifique ; mais les faits ont montre que les dérives sont toujours possibles. Ce qui s'est passé pendant deux jours en janvier réfute la thèse selon laquelle cette tension ne va pas générer en confrontations. Cependant, la période de l'après fêtes fut celle des nouvelles mesures d'escalade et éventuellement des contre mesures loyalistes. Les surenchères médiatiques de part et d'autre étaient intenses et agressives. Le pays courait un risque réel de passer d'une phase durant laquelle le droit à exprimer librement son opinion fut exercé d'une façon presque exemplaire à une autre phase d'agressions et de contre agressions. Malgré les pertes humaines et matérielles, le pouvoir judicaire n'a pas été interpellé pour déterminer les responsabilités et décider des sanctions. Les propos injurieux et calomnieux sont des actes préjudiciables et doivent faire l'objet de sanctions sévères, surtout quand ils tendent à "généraliser" (l'assimilation de toute une communauté à la position d'un leader issue de cette même communauté). S'il est vrai que la liberté d'expression n'a de limites que celles "établies exclusivement par la loi", toujours est-il que la dignité des autres reste une limite éthique qui doit régir l'exercice des libertés individuelles. D'autre part, toute déclaration et/ou accusation qui mettent en cause la sécurité d'une tierce personne (ou d'un groupe de personnes) n'est autre qu'une incitation au meurtre. D'un point de vue "droits de l'Homme", et sans analyser les conséquences politiques du mouvement de l'opposition, notre seul intérêt réside dans le maintien de la nature pacifique de tout mouvement populaire, qu'il soit opposant ou loyaliste. Et dans ce cadre, il nous importe de rappeler que le champ de responsabilité en cas de dérive n'est pas uniquement limité aux organisateurs mais s'élargit pour atteindre les leaders politiques et les faiseurs d'opinion en général. Par le terme "responsabilité", l'on entend "la nécessité morale, intellectuelle ou juridique de remplir un devoir, de satisfaire un engagement ou de réparer une faute". Bien qu’imprécise, cette définition permet de comprendre pourquoi la responsabilité est si souvent mobilisée dans des situations pareilles: elle constitue un des moteurs essentiels des actions humaines, individuelles ou collectives, même quand elles se déroulent dans la sphère publique (bien que ce concept soit inhabituel au Liban). Par conséquent, la responsabilité n'est pas circonscrite au champ juridique. Elle est également politique et morale. Donc pratiquement, l'adoption de nouvelles mesures (opposantes ou loyalistes) n'a pas été en ligne avec les normes internationales de l'exercice de la liberté d'expression. Tout appel à une manifestation qui "risque" de sortir de son cadre pacifique fait assumer aux organisateurs une responsabilité directe. De même, tout appel à contrer une manifestation par une autre et dont le déroulement "risque" de provoquer une friction entre les deux masses constitue aussi une forme "d'incitation à la violence". Enfin, toutes les mesures que les autorités sont appelées à prendre doivent respecter les engagement internationaux du Liban, notamment en terme de protection des manifestants, des biens privés d'autrui, des bien publics, et de l'usage proportionnel de la force en cas de dérive. Les leaders politiques ne doivent pas se contenter "d'évoquer la nature pacifique d'une manifestation". Ils doivent aussi procéder à une évaluation rationnelle des risques et tout faire pour éviter les dégâts matériels et surtout humains. Les responsabilités sont dont partagées à part égales entre les partis loyalistes, les partis de l'opposition ainsi que les autorités. Dans des cas pareils de dérive, nul ne pourra se prémunir ni "de droit à la liberté d'expression" ni de son "droit à défendre le gouvernement", encore moins de son devoir de protéger les biens publics ou privés. Le jugement sera sévère et irréversible. __________________________________________________________