Thursday, December 1, 2005

Les fosses communes - Le cas Libanais

Published in l’Orient le Jour (French language daily newspaper in Lebanon)


Selon le Rapporteur Spécial de l'ONU pour les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, les "charniers" sont des endroits où trois ou plusieurs victimes d'exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires ont été enterrées sans être décédées au combat ou lors d'affrontements armés. La troisième et quatrième convention de Genève et le premier protocole régissent l’enterrement et l’identification des victimes de guerre. Les prisonniers de guerre décédés par exemple, doivent être enterrés convenablement et doivent être clairement identifiables, Mais le droit d’exhumer des charniers n’est pas clair dans le droit international. La résolution 3074 (1973) de l’Assemblée Générale des Nations Unies appelle les Etats à coopérer dans les enquêtes sur les crimes de guerre. Un gouvernement normalement n’a pas à « autoriser » la recherche de charniers. Durant les 20 dernières années, des charniers ont été découverts en Argentine, au Guatemala, au Salvador, au Honduras, en Ethiopie, au Mexique et en Irak. Par ailleurs, tous les charniers dont on soupçonne l'existence n'ont pas nécessairement été créés en violation des Conventions de Genève et de leurs Protocoles Additionnels. Il est concevable que certains contiennent les corps de soldats combattants enterrés dans une fosse commune pour des motifs d'ordre sanitaire ou pour d'autres raisons légitimes. De la même façon, certains pourraient contenir les corps de civils enterrés ensemble pour des raisons légitimes Les Conventions de Genève contiennent plusieurs dispositions relatives au traitement et à l'inhumation des personnes tuées en temps de guerre. Dans certains cas, ces dispositions pourraient avoir été violées par ceux qui ont enterré les morts dans des fosses communes sans les avoir correctement identifiés. Donc, un charnier peut revêtir une importance parce qu'il pourrait renfermer des preuves de massacres, mais la méthode et les moyens utilisés pour créer la fosse commune peuvent également constituer un crime de guerre. C’est donc en étayant les dépositions de témoins et en considérant les découvertes et les circonstances de création de chaque charnier qu’on établit des éléments de preuve solides démontrant que des crimes comme des exécutions sommaires ont été commis. Comme les exhumations ne doivent être réalisées que dans le cadre d'une enquête, les enquêteurs doivent être en possession de certaines informations concernant des charniers susceptibles de les intéresser. Malgré le fait que l'anthropologie médico-légale est une science jeune, les experts médico-légaux disposent de techniques leur permettant d'établir la date et la cause du décès, même en présence de restes très anciens. Ces tests, combinés à des enquêtes et examens non médico-légaux, permettent aux enquêteurs de distinguer les sites éventuellement liés au conflit de ceux dépourvus d'intérêt. Les témoins (reporters, civils, parents, ONG…etc. qui découvrent un charnier ne sont pas supposés agir sur le site, surtout que dans certains cas les sites sont minés ou contiennent des obus non explosés. Une activité d’amateurs pourrait détruire des preuves importantes. Cette tache doit incomber à une équipe de professionnels sous supervision internationale (le CICR, le Haut commissaire aux droits de l’Homme des Nations Unies ou des ONG spécialisées comme Physicians for Human rights) Avant de commencer une exhumation, lorsqu'ils essayent d'identifier un site, les experts médico-légaux se rendent au préalable sur un site éventuel. Ils utilisent du matériel de haute technologie, comme des instruments de cartographie électronique permettant de prendre les mesures et d'établir la carte exacte de l'ensemble du site, des artefacts, des restes humains et d'autres objets. L'équipe sonde l'endroit pour essayer de repérer la présence de corps et de déterminer la taille du charnier et de calculer son périmètre. La position des corps peut contribuer de manière déterminante à établir comment les victimes ont été tuées et leurs corps évacués. Il est également possible de découvrir si les victimes ont dû s'aligner avant d'être abattues, quel était l'angle de tir et si des bulldozers ont charrié les corps dans le site après l'exécution. Une fois les préparatifs terminés, l'excavation est entamée à l'aide d'une pelle rétro caveuse si l'endroit est accessible aux engins lourds. Cette pelle enlève de minces couches de terre jusqu'à ce que le niveau des corps soit atteint. Si le site est inaccessible, la terre est d'abord enlevée à la main sous la surveillance de l'équipe médico-légale. Lorsque les ouvriers se rapprochent de l'endroit où les corps sont enterrés, ils cèdent la place aux experts médico-légaux. Ceux-ci déterrent les restes en creusant à l'aide de petits instruments pour veiller à ce qu'aucun élément de preuve ne soit endommagé ou déplacé. Ils recherchent et récupèrent également des objets tels que des dents - celles-ci peuvent contribuer de manière déterminante à l'identification de personnes - et des effets personnels. De plus, les enquêteurs recueillent tout autre élément de preuve pertinent, comme des douilles et des balles. Ils examinent également le site aux alentours du charnier pour déterminer s'il existe des preuves d'une exécution en masse. Enfin, l'équipe prélève avec prudence des échantillons de restes de plantes et d'insectes, dont l'examen contribuera à déterminer la date du décès. Toute la procédure d'exhumation est enregistrée sur photos et vidéos. Les restes et autres éléments de preuve exhumés sont envoyés à un laboratoire médico-légal où ils sont analysés. Au laboratoire, les restes sont d'abord passés aux rayons X et une autopsie médico-légale est ensuite effectuée dans le but d'identifier la victime, de déterminer ses blessures et d'établir la date et la cause du décès. Pour identifier une victime, les pathologistes s'efforcent de déterminer la taille de la personne décédée, son sexe, son âge…Les os peuvent révéler la cause du décès. L'angle de pénétration des balles et les blessures existantes peuvent révéler la manière dont une victime a été tuée. Une série d'impacts de balles à un endroit particulier, à la base du crâne par exemple, peut témoigner d'une exécution massive plutôt que d'un décès au combat. Durant l'autopsie, des sections du fémur peuvent être recueillies pour procéder ultérieurement à une analyse de l'ADN en vue de procéder à une identification définitive. L'identification est facilitée par l'examen de la dentition de la personne décédée. Les enquêteurs médico-légaux recueillent également les parties des vêtements de la personne qui pourraient faciliter le processus d'identification. Une fois cette analyse scientifique approfondie terminée, un rapport d'autopsie est rédigé. . L'analyse d'autres éléments de preuve déterrés du charnier, comme des balles, des fragments de balles ou des douilles est également effectuée par un laboratoire chargé de procéder à l'analyse des armes à feu et des traces laissées par les instruments. Les succès au niveau international varient d’un pays à l’autre. La destruction, le manque de preuves ou les dégâts causés par les phénomènes naturels sont des facteurs déterminants pour que des résultats finaux soient confirmés. Dans le cas du Liban, la situation semble être complexe. Afin d’éviter des erreurs dont les conséquences pourraient être dramatiques, il est nécessaire qu’un mécanisme soit mis en place afin d’identifier tous les sites suspects. Ensuite, des équipes pluridisciplinaires mixtes (formes de professionnels libanais et non libanais) doivent être chargées d’enquêter et de déterminer les charniers relevant de crimes de guerre et de prendre les mesures nécessaires, dans le respect de la dignité des victimes, de leurs familles et du principe de non impunité. Le droit international ne tolère aucun compromis à ce niveau puisque les crimes de guerre sont imprescriptibles.

Saturday, October 1, 2005

D’état et de milices

Published in l’Orient le Jour (French language daily newspaper in Lebanon)

Rien qu’à observer l’évolution du contexte politique international et régional, les libanais, connus pour être « politisés jusqu’au bout », comprendront les messages clairs du Hezbollah envoyés à l’Est et à l’Ouest à l’occasion de la « Journée Al-Quds » célébrée il y a quelques jours. Dans ce contexte, il serait utile de commenter la pertinence des messages Hezbollahi et de leur impact sur l’avenir politique de ce parti après le règlement du problème des armes. Car dans un pays pluraliste, l’avenir politique de tout parti est lié intrinsèquement à ses positions de principe qui touchent non seulement ceux qu’il représente, mais aussi les autres libanais. Le parti de Dieu justifie son insistance à garder ses armes par l’existence du danger imminent Israélien. Supposons que ce danger soit perçu par tous les libanais de la même manière (ce qui n’est pas tout à fait vrai), est ce que le fait de permettre à des groupements politiques d’avoir des armes (inclus quelques 12000 missiles) est la solution face à ce danger ? Dans ce cas, pourquoi ne pas permettre à d’autres groupes qui s’inquiètent du danger palestinien ou syrien à faire pareil ? Objectivement parlant, le lion Syrien, grièvement touché par l’Oncle Sam, ne cache pas sa frustration vis-à-vis de certains Libanais, considérés comme les chevaux de Troie par lesquels on lui a fait enlever l’une de ses cartes de pressions les plus importantes. Au vu de l’historique syrien, cette animosité ne pourrait être considérée que comme un vrai danger. De quel œil le Hezbollah verra –t-il le courant du Futur devenir une milice, détenir des missiles ou organiser des parades militaires à Tariq el Jdideh par exemple ? D’autre part, les groupes armés palestiniens ne sont ils pas perçus comme un danger par au moins une partie des libanais ? Ces derniers, en suivant la même logique, peuvent-ils s’organiser en milices tout en criant haut et fort que « les armes ne seront pas utilisés « à l’intérieur » comme le font les milices palestiniennes pro syriennes ? Suffit-il de s’engager en public ? Qui assure que ces engagements seront respectés lorsque l’heure des échéances sonnera ? Qui assure la pérennité des commandements de ces milices palestiniennes ? Ou même la pérennité de leurs choix politiques stratégiques ? A-t-on eu le temps d’oublier les multiples revirements palestiniens durant les 30 dernières années ? Quant aux armes « légères » présentes dans les camps, Cheikh Nasrallah affirme qu’elles servent à protéger « les palestiniens, leur honneurs, leurs femmes… ». Ainsi soit il, Mais de qui ? Le seul parti qui a des armes au Liban est le Hezbollah et ce n’est sûrement pas ce parti qui va les attaquer. Si ce dernier détient des informations sur d’autres groupes armés qui comptent s’attaquer à des civils palestiniens « comme à Sabra et Chatila », qu’il les dénonce. Aucune force politique au Liban n’accepterait des attaques contre les civils palestiniens. En parlant de souveraineté, Cheikh Nasrallah s’est montre irrité des ingérences onusiennes. Etrange que cette irritation soit venue du leader d’un parti qui s’est longtemps accommodé des ingérences syriennes (souvent grossières) en plus du fait que le lancement du parti ne soit pas très étrange aux Gardiens de la Révolution en Iran. Les déclarations menaçantes de Anouar Raja et Ahmed Jibril n’ont-ils pas irrité le Hezbollah ? N’est ce pas une entorse à la souveraineté libanaise ? M. Raja qui déclarait que « nous ne sommes pas venus chez l’Armée mais c’est l’Armée qui est venue chez nous » ? Ou bien que « nous ne permettrons pas à l’Armée d’envahir nos positions » ? Détient-il des actes de propriété pour ces positions ? Font ils partie des territoires palestiniens désormais ? Qui est chez Qui ? De quel droit M. Raja, et en sa qualité de quoi, voudrait-il « négocier » avec l’Armée la libération de 6 soldats « qui se sont infiltrés dans notre position » ? L’Armée Libanaise a-t-elle besoin d’un permis de Raja ou de Jibril pour fouiller des positions miliciennes ? Le statut de « réfugiés », applicable aux palestiniens résidant au Liban, impose aux autorités libanaises et à la société civile libanaise une attitude complètement différente en ce qui concerne les droits économiques et sociaux, tels que stipulés par les engagements internationaux du Liban. Mais elle impose également aux palestiniens, notamment les leaders politiques, une certaine conduite respectueuse du pays hôte. Si les Libanais ne se mettent pas d’accord qu’il faut bâtir l’Etat Libanais sur la base des principes universels des droits de l’Homme, c’est qu’ils auraient perdus 30 ans, des centaines de milliers de martyrs et des dizaines de milliers de disparus, pour rien. Un Etat de droit, condition sine qua non à la reforme politique et économique à laquelle aspire tant le Hezbollah, ne saurait coexister avec une multitude de milices, non libanaises de surcroît. La protection des civils palestiniens relève exclusivement des autorités libanaises et ne peut pas être sous traitée à des groupuscules armés. Le respect des résolutions internationales et l’application par le Liban des conventions internationales doivent être la base de la pratique politique du pays. Et si le droit international nous impose de suivre une certaine procédure onusienne pour prouver la libanité des fermes de Chebaa, c’est que le Liban se doit de suivre cette procédure comme il faut. Autrement, il est normal qu’on s’attire les foudres de la communauté internationale. Et ce n’est pas par pragmatisme politique qu’on doit faire ça, mais pour être respectueux de la légalité internationale, pour être conséquents avec nous-mêmes, dans une perspective d’éthique politique. Un nouveau Liban ne pourrait pas être bâti qu’en l’absence de toutes sortes de milices ou de groupes armés. La défense du Liban face à tout danger fait partie des responsabilités de l’Etat libanais. Et rien de prouve qu’un Etat de droit, complètement souscrit à la légalité internationale, ne peut s’acquitter de cette tache.