Laïcité, égalité
entre les cultes et printemps arabe
Published in the French Speaking magazine "Arc en Ciel"
Dr Elie Abouaoun
Membre du Comité
Directeur de NDH
Octobre 2012
La répression de
l’Islam politique par des régimes nationalistes dictatoriaux a pris fin en
2011. La mouvance politique émanant des préceptes de l’Islam jaillit comme un
acteur principal dans le nouveau paysage politique de la région arabe. Cette
montée en puissance se fait dans un contexte tendu (qui plus est une région
pluraliste par excellence) et s’accompagne d’un sentiment de désenchantement
quant aux rêves de l’émergence de régimes démocratiques.
Le montée islamique
donne du fil à retordre à plus d’un acteur, local, régional ou international et
suscite des appels à établir des régimes laïcs calqués sur le modèle de l’Etat
Nation qui a submergé l’Europe durant le siècle dernier. La question qui se
pose est celle de savoir si cette solution est de mise, et si elle est applicable
dans une région ou l’identité politique est plus proche du religieux que du
national et qui se veut en adhésion totale avec les requis de l’Islam
politique.
En essayant
d’apporter une réponse à cette question, il faudra probablement commencer par
évaluer objectivement l’expérience européenne.
Le régime applicable
en France et dans d’autres pays européens similaires garantit pleinement le
respect égal de la liberté de conscience aussi bien pour les croyants que
pour les athées et les agnostiques. Il consacre l’égalité entre les cultes et
la neutralité de l’Etat, notamment de ses services publics, à leur égard.
Les défis réels à ce
régime laïc sont apparus avec l’explosion démographique des musulmans d’Europe
qui ont pu, dans une majorité de cas, contourner les requis de la laïcité à
plusieurs niveaux : intégration socio-culturelle, enseignement, statut
personnel, adhésion aux valeurs républicaines...etc. La laïcité a montré ses
limites et les divergences culturelles entre les européens de souche et les
immigrés musulmans ne sont plus un secret pour personne. Certes toute
immigration peut théoriquement causer des divergences culturelles mais le cas
des musulmans d’Europe est, parmi les différents groupements d’immigrés, de
loin le plus problématique. Cet état de fait s’est amplifié avec certaines
mauvaises pratiques qui ont validé les doutes que la laïcité n’est dirigée en
fin de compte que contre « certaines » religions (le christianisme et
l’Islam) alors que les autres religions et sectes se sentent peu ou pas visées
du tout. Ainsi, la loi sur les signes religieux ostensibles s’est révélée être surtout
une interdiction du port du voile alors que les disciples d’autres religions
continuent d’afficher quelques signes (la kippa par exemple) sans que ça ne
soit perçu comme une violation de la dite loi. Plus récemment encore est le vif
débat qui a suivi la décision de la Mairie de Paris d’organiser des festivités à
l’occasion du Ramadan, assorties de messages sur les panneaux publics alors que
les fêtes chrétiennes sont ignorées par les mêmes autorités publiques. N’est-ce
pas une infraction à la règle de l’égalité entre les cultes ?
Le dilemme de la
relation entre la laïcité et l’Islam
n’est pas simple. En effet, le principe même de la séparation entre Etat et
religion est par définition rejeté par un Islam qui se veut «religieux et
temporel » à la fois. L’application d’une loi civile des statuts
personnels n’est pas admise et la liberté d’un musulman de changer sa religion
est rejetée même par les interprétations les plus libérales des textes musulmans.
Si le succès de la laïcité
appliquée aux musulmans a relativement échoué en Europe, que serait-ce alors de
son application dans des pays à majorité musulmane ? Il n’y a pas de
doutes que l’échec serait plus cuisant encore. Surtout que les autres
composantes socioreligieuses des pays de la région arabe, statistiquement
minoritaires, s’attachent à leur identité religieuse, pas nécessairement par piété,
mais surtout comme un réflexe identitaire visant à préserver leur différence et
à assurer leur protection. Dans le contexte de la région arabe, une laïcité à
l’européenne conduira donc à son rejet par la majorité musulmane et ira à l’encontre
de la seule garantie (perçue ou réelle) dont se vantent les composantes
non-musulmanes.
D’autre part, les
solutions basées sur le partage des pouvoirs entre les constituants ethniques
et religieux de certains pays (Liban, Irak…) ont aussi échoué, Pire encore, ces
systèmes politiques improvisés, qui ont mélangé entre concessions collectives
volontaires et bazars politiques
absurdes sont devenus plus discriminatoires qu’égalitaires et ont perdu leur
valeur ajoutée puisqu’ils résultent en des blocages inacceptables et en des
violations souvent graves des droits de l’Homme.
Au lieu de noyer le
poisson en appelant à des régimes laïcs à l’européenne, il serait plus
judicieux d’entreprendre une redéfinition de la relation entre le religieux, le
temporel et le politique dans la région arabe avec pour objectif l’élaboration
d’un système qui soit accepté par l’Islam et qui répond en même temps aux
craintes des autres composantes ethniques et religieuses et aux impératifs
d’une gestion saine de la diversité tout en se situant sous le chapiteau des
valeurs universelles des droits de l’Homme. Pour les praticiens de la gestion
de la diversité, ce n’est pas une tâche facile mais elle semble la seule
solution en vue.
Dans le cas
contraire, les peuples de la région, qui viennent de gouter à la victoire miel
amère contre les régimes dictatoriaux sombreront de nouveau dans les ténèbres
d’autres formes de dictatures ; religieuses ou laïques. En conclusion, au
lieu de laïciser les régimes politiques, il faudra songer à laïciser (dans le
sens de la redéfinition des relations entre le religieux et le temporel) les sociétés
qui elles, sauront choisir le régime politique qui correspond le plus à leurs
besoins et réalités.