Les minorités au Proche-Orient et le printemps arabe (février 2012)
Dr. Elie Abouaoun
Directeur Exécutif du Fonds Arabe pour les Droits Humains
Chargé de Cours à
l’Université Saint Joseph
Le changement de régimes dans
les pays arabes ne préoccupe pas seulement les dictateurs du cru. Il y a aussi
les populations civiles qui payent comme toujours le prix le plus cher ; à
cause de la répression armée, du chaos résultant d’une transition ratée ou même
à cause d’une intervention censée les protéger comme ce fût le cas en Libye.
Dans le contexte
de ce grand bouleversement, il serait
opportun de jeter un regard aussi sur les minorités. Il faut éviter
cependant de tomber dans le piège récurrent de ne considérer, en examinant ce
sujet, que les minorités « religieuses ». Car il y a dans la région
des minorités ethniques (kurdes, arméniens, turkmènes, africains, berbères,
circassiens, tchétchènes, chaldéens[1]…),
sociales (populations autochtones, homosexuels…),
politiques (marxistes, nassériens, nationalistes…etc.). De plus, parmi les minorités religieuses, il
n’y a pas que des chrétiens. Il y a aussi les druzes, les alaouites, les
ismaélites, les juifs, les bahaïs, les mandéens, …etc.
Plusieurs figures
académiques, politiques, religieuses et sociales expriment leur crainte quant à
l’avenir réservé aux minorités suite à la chute de certains régimes. Ces
craintes présupposent que la situation actuelle des minorités est bonne, ou du
moins acceptable. Les minorités toutes catégories confondues vivaient-elles en dignité
avant 2011 dans la région ?
Les minorités ne furent« protégés » par les régimes
en place que quand ils ont décidé de se démettre de l’exercice de leurs droits
politiques et civils (ou au moins d’une partie des ces droits) et de montrer
une loyauté aveugle au régime. Toute sortie de ce parcours menait à des
répressions ignobles, indépendamment de la religion, de l’ethnie ou de
l’origine des opposants. L’ironie du sort veut que les régimes autocratiques de
la région arabe aient su être équitables en opprimant leurs peuples. Jamais un
opposant politique ne fut moins réprimé qu’un autre opposant à cause de son
origine religieuse ou autre.
Cette réalité est valide
pour toutes les minorités, religieuses ou pas. Ainsi, les kurdes ne vivaient
nullement en dignité ni en Syrie, ni en Irak, ni en Iran ni en Turquie. Ce
dernier cas de figure est important pour montrer que la nature du régime n’assure
pas nécessairement une vie plus digne
aux minorités. Les kurdes turcs furent réprimés autant par les régimes laïcs
(soutenus par les militaires) que par l’AKP (parti « islamiste
modéré »).
La situation des minorités
dans la région du Golfe Arabe n’est pas meilleure : il ne suffit pas donc
d’être étiqueté « régime modéré » par l’Occident pour être tolérant
et respectueux de la diversité et des droits de l’Homme. Les populations
autochtones, les non-musulmans, les homosexuels se voient bafouer leurs droits
tous les jours dans cette partie du monde arabe.
En Irak, contrairement à une
certaine propagande, ce ne sont pas les seuls chrétiens qui furent pris pour
cibles. Toutes les autres minorités le furent d’une façon ou d’une autre par un
« nouveau » régime irakien « issu des urnes (?) », et en
plus « ami » de l’Occident.
De l’autre part du Golfe, les
quelques signes apparents d’ouverture en Iran ne signifient pas que le régime
est tolérant envers les minorités. Celles-ci vivent dans des conditions
non-conformes aux principes de dignité humaine.
Les exemples précités ne
sont que quelques uns censés refléter une réalité incontournable: ni les
régimes militaires, ni les dictatures laïques, ni les monarchies proches
(politiquement) de l’Occident, ni les théocraties, ni les régimes sunnites, ni
ceux sous influence shiite…n’ont pu assurer aux minorités du Proche-Orient une
vie digne. Promouvoir ou défendre une catégorie spécifique de régimes
politiques pour protéger les minorités est une erreur colossale. C’est au cœur de la société qu’il faut
chercher la solution : dans le système valoriel de la société et des groupes
minoritaires eux-mêmes.
Qui dit qu’une de ces
minorités au pouvoir serait moins répressive que les autres composantes ?
Le style de gouvernement dans la région autonome du Kurdistan irakien est-il
dénué de violations des droits de l’Homme ? Quand les chrétiens étaient au
pouvoir au Liban, se sont-ils comportés conformément aux principes qu’ils prônent
sur tous les plateaux? Les chiites au pouvoir traitent-ils leurs compatriotes
minoritaires mieux qu’ils ne sont traités eux-mêmes à Bahreïn ? Les
non-Sunnites au Golfe sont-ils mieux traités que les Sunnites dans le Sud de
l’Irak ou en Iran ?
Force est de constater donc
que les peuples de la région n’ont pas appris les leçons qui s’imposent de leurs
souffrances. Soit ils se plaignent à outrance (quand ils sont victimes) soit
ils continuent de se baser sur l’équation du plus fort éliminer les autres
quand ils le peuvent. Ce ne sont ni les
minorités qui sont des brebis innocentes ni les majorités ethniques ou
religieuses qui sont les méchants loups : c’est l’échelle de valeurs qui
est faussée. Et c’est la qu’un travail de longue haleine doit être entamé. Les
transitions sont toujours douloureuses et vont certainement faire des
dégâts (parmi les minorités et les majorités) : Mais après la
tempête, les citoyens de ces pays du printemps arabe sauront-ils enfin se
mettre d’accord sur un nouveau pacte social respectueux des valeurs de dignité,
de liberté et d’égalité ? C’est le défi essentiel auquel doit s’atteler
avant tout la société civile mais aussi et surtout ces mêmes défenseurs des
minorités.
[1] Connus comme étant les catholiques
d’Irak, ils s’identifient cependant à une ethnie et pas à une religion
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