Thursday, July 12, 2012

Les minorités au Proche-Orient et le printemps arabe (février 2012)


Les minorités au Proche-Orient et  le printemps arabe (février 2012)

Dr. Elie Abouaoun
Directeur Exécutif  du Fonds Arabe pour les Droits Humains
Chargé de Cours à l’Université Saint Joseph

Le changement de régimes dans les pays arabes ne préoccupe pas seulement les dictateurs du cru. Il y a aussi les populations civiles qui payent comme toujours le prix le plus cher ; à cause de la répression armée, du chaos résultant d’une transition ratée ou même à cause d’une intervention censée les protéger comme ce fût le cas en Libye. 

Dans le contexte de  ce grand bouleversement, il serait opportun de jeter un regard aussi sur les minorités. Il faut éviter cependant de tomber dans le piège récurrent de ne considérer, en examinant ce sujet, que les minorités « religieuses ». Car il y a dans la région des minorités ethniques (kurdes, arméniens, turkmènes, africains, berbères, circassiens, tchétchènes, chaldéens[1]…),  sociales (populations autochtones, homosexuels…), politiques (marxistes, nassériens, nationalistes…etc.).  De plus, parmi les minorités religieuses, il n’y a pas que des chrétiens. Il y a aussi les druzes, les alaouites, les ismaélites, les juifs, les bahaïs, les mandéens, …etc.

Plusieurs figures académiques, politiques, religieuses et sociales expriment leur crainte quant à l’avenir réservé aux minorités suite à la chute de certains régimes. Ces craintes présupposent que la situation actuelle des minorités est bonne, ou du moins acceptable. Les minorités toutes catégories confondues vivaient-elles en dignité avant 2011 dans la région ?

Les minorités  ne furent« protégés » par les régimes en place que quand ils ont décidé de se démettre de l’exercice de leurs droits politiques et civils (ou au moins d’une partie des ces droits) et de montrer une loyauté aveugle au régime. Toute sortie de ce parcours menait à des répressions ignobles, indépendamment de la religion, de l’ethnie ou de l’origine des opposants. L’ironie du sort veut que les régimes autocratiques de la région arabe aient su être équitables en opprimant leurs peuples. Jamais un opposant politique ne fut moins réprimé qu’un autre opposant à cause de son origine religieuse ou autre.

Cette réalité est valide pour toutes les minorités, religieuses ou pas. Ainsi, les kurdes ne vivaient nullement en dignité ni en Syrie, ni en Irak, ni en Iran ni en Turquie. Ce dernier cas de figure est important pour montrer que la nature du régime n’assure pas nécessairement  une vie plus digne aux minorités. Les kurdes turcs furent réprimés autant par les régimes laïcs (soutenus par les militaires) que par l’AKP (parti « islamiste modéré »).

La situation des minorités dans la région du Golfe Arabe n’est pas meilleure : il ne suffit pas donc d’être étiqueté « régime modéré » par l’Occident pour être tolérant et respectueux de la diversité et des droits de l’Homme. Les populations autochtones, les non-musulmans, les homosexuels se voient bafouer leurs droits tous les jours dans cette partie du monde arabe.

En Irak, contrairement à une certaine propagande, ce ne sont pas les seuls chrétiens qui furent pris pour cibles. Toutes les autres minorités le furent d’une façon ou d’une autre par un « nouveau » régime irakien « issu des urnes (?) », et en plus « ami » de l’Occident.

De l’autre part du Golfe, les quelques signes apparents d’ouverture en Iran ne signifient pas que le régime est tolérant envers les minorités. Celles-ci vivent dans des conditions non-conformes aux principes de dignité humaine.  

Les exemples précités ne sont que quelques uns censés refléter une réalité incontournable: ni les régimes militaires, ni les dictatures laïques, ni les monarchies proches (politiquement) de l’Occident, ni les théocraties, ni les régimes sunnites, ni ceux sous influence shiite…n’ont pu assurer aux minorités du Proche-Orient une vie digne. Promouvoir ou défendre une catégorie spécifique de régimes politiques pour protéger les minorités est une erreur colossale.  C’est au cœur de la société qu’il faut chercher la solution : dans le système valoriel de la société et des groupes minoritaires eux-mêmes.

Qui dit qu’une de ces minorités au pouvoir serait moins répressive que les autres composantes ? Le style de gouvernement dans la région autonome du Kurdistan irakien est-il dénué de violations des droits de l’Homme ? Quand les chrétiens étaient au pouvoir au Liban, se sont-ils comportés conformément aux principes qu’ils prônent sur tous les plateaux? Les chiites au pouvoir traitent-ils leurs compatriotes minoritaires mieux qu’ils ne sont traités eux-mêmes à Bahreïn ? Les non-Sunnites au Golfe sont-ils mieux traités que les Sunnites dans le Sud de l’Irak ou en Iran ?

Force est de constater donc que les peuples de la région n’ont pas appris les leçons qui s’imposent de leurs souffrances. Soit ils se plaignent à outrance (quand ils sont victimes) soit ils continuent de se baser sur l’équation du plus fort éliminer les autres quand ils le peuvent.  Ce ne sont ni les minorités qui sont des brebis innocentes ni les majorités ethniques ou religieuses qui sont les méchants loups : c’est l’échelle de valeurs qui est faussée. Et c’est la qu’un travail de longue haleine doit être entamé. Les transitions sont toujours douloureuses et vont certainement faire des dégâts  (parmi les minorités et les majorités) : Mais après la tempête, les citoyens de ces pays du printemps arabe sauront-ils enfin se mettre d’accord sur un nouveau pacte social respectueux des valeurs de dignité, de liberté et d’égalité ? C’est le défi essentiel auquel doit s’atteler avant tout la société civile mais aussi et surtout ces mêmes défenseurs des minorités.





[1] Connus comme étant les catholiques d’Irak, ils s’identifient cependant à une ethnie et pas à une religion

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